Katalog
42 Entretien avec Daniel Buren Dorothea von Hantelmann | Vous venez de la peinture et avez ramené, au début des années 1960, la peinture « au degré zéro », inspiré par Roland Barthes et reje- tant la peinture expressive, centrée sur le sujet, de l’École de Paris. À un certainmoment, vous avez compris qu’un contexte, qu’une situation donnée a une telle in- fluence sur la signification d’une œuvre qu’il vous devint impossible de l’ignorer et de continuer à travailler comme naguère. Y a-t-il eu un tournant et, si oui, quand ? Daniel Buren | Je crois que ça a été un processus assez long. Avant même d’être conscient du problème, je me penchais sur différents aspects de la question. Quand j’étais très jeune, je suis allé dans le sud de la France pour étudier l’influence du paysage sur la peinture, de Cézanne à Picasso. J’ai rencontré nombre de peintres, Chagall, Picasso, Masson et bien d’autres encore, et je m’intéressais beaucoup à leur travail. De retour à Paris, je leur ai rendu visite chez eux, dans leurs ateliers, et visité nombre d’expositions de leurs œuvres les années suivantes. J’étais en fait toujours déçu de la manière dont les tableaux étaient présentés, comparé à la ma- nière dont je les avais vus en atelier. Cela n’avait pas en- core de conséquence sur mon travail mais je voulais comprendre ce qu’il se passait. Deux ans plus tard, j’ai entrepris un long voyage au Mexique où j’ai étudié la peinture des muralistes. Et, d’une certaine manière, je suis passé en deux ans de la tradition artistique occiden- tale de Paris à la tradition anti-occidentale des mura- listes. Ce fut un nouveau, un deuxième moment où j’ai ressenti la non-transportabilité de la peinture. DvH | Vous avez découvert la peinture muraliste au Mexique et, ainsi, la tradition d’un art illustratif et didac- tique, non-autonome. DB | J’avais 18 ans et j’étais très intéressé par le rejet de la tradition artistique occidentale. Tout de suite après, en 1960–61, je réalisai d’une certaine manière ma première commande publique à Sainte-Croix, dans les Petites An- tilles. Je réalisai une série de très grands tableaux sur des panneaux en bois accrochés directement sur le mur, inspirés en partie par Picasso et Diego Rivera. Ces œuvres me permirent d’exprimer tout ce que j’aimais à l’époque, des tableaux figuratifs, des portraits, etc ... Mais, au bout d’un an, une fois ces œuvres achevées, elles mirent au clair mon rapport à l’art figuratif, qui m’avait tant attiré jusque-là, et me rendirent l’exécution de cet art impossible. Cette expérience a été pour moi une sorte de catharsis. C’était un travail in situ , même si je ne l’aurais pas appelé ainsi à l’époque. Quelques an- nées plus tard, j’ai été à nouveau invité à Sainte-Croix et j’y ai réalisé une série de travaux. Mais ma manière de peindre avait complètement changé, ma peinture n’était plus figurative vers 1964/65. Je fis une série de grandes mosaïques pour lesquelles j’utilisais des pierres trou- vées sur la plage et des assiettes cassées de l’hôtel pour
Made with FlippingBook
RkJQdWJsaXNoZXIy MTMyNjA1