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44 lequel je réalisais ces mosaïques ; j’ai aussi fait une mo- saïque encore plus grande en pavés de véritable verre vénitien. Je me souviens que, pendant ce séjour d’un an dans les Petites Antilles, j’avais été impressionné par les murs colorés de Christiansted et de Fredericksted, les deux petites villes de Sainte-Croix.Mais il était inconce- vable de faire un tableau qui y ressemble. Je ne voulais pas que le mur fasse plus ou moins partie de la toile et que le tout ressemble finalement à un Tapiès. Je voulais autant que possible laisser le mur en l’état mais le trans- former en tableau aurait été complètement ridicule. Et je ne trouvais pas pertinent de prendre le mur pour le présenter dans un musée, comme l’aurait voulu la tradi- tion occidentale. Ce que je voulais, c’était faire un mur et non pas peindre quelque chose qui ressemblerait à un mur. Mais, à l’époque, je ne savais pas comment m’y prendre. Tous ces éléments, pris ensemble, ont formé ma conscience de l’importance du contexte. À la même époque, je commençais à travailler sur le principe de la rayure et cherchais à débarrasser la peinture de tout ce que je considérais alors comme inutile ou hors de pro- pos. Et ce geste, l’idée de réduire la peinture à la toile rayée, déplaça l’attention vers la situation et la dépen- dance de l’œuvre de son contexte. Je voulais expérimen- ter et voir si, dans un autre contexte, l’œuvre disparaîtrait ou si elle continuerait à exister. DvH | Cela m’amène à une deuxième question qui porte sur votre critique de Duchamp. Vous avez dit un jour que Duchamp a confondu la réalité de l’objet quotidien avec la réalité d’une œuvre d’art ou d’un tableau. Pouvez-vous nous l’expliquer ? Comment définissez-vous le rapport entre la réalité d’un objet quotidien et la réalité d’une œuvre d’art, et quelle est la réalité spécifique d’un ta- bleau ? DB | Ma critique de Duchamp porte spécifiquement sur le ready-made , pas sur les œuvres de Duchamp en géné- ral. Même si je trouvais l’idée remarquable, je pense que le ready-made a en principe deux aspects négatifs. Mal- gré le discours de Duchamp sur le renoncement aux cri- tères esthétiques, c’est un fait que, dès lors qu’on choisit quelque chose, qu’on fait un choix,même si c’est un choix banal ; et, comme nous le savons, la plupart de ces objets étaient des artefacts produits industriellement – ce choix implique une acceptation du monde tel qu’il est. C’est ma principale critique. C’est le fait que Duchamp a accepté le statu quo. Près de cent ans après, ces objets sont des icônes du XXe siècle, ils incarnent un paradigme moderne de l’industrialisation. Et le deuxième point sur lequel je suis en désaccord avec Duchamp est la manière dont il aborde l’institution. Il a placé le ready-made au musée parce qu’il n’avait pas d’autre option. Mais il a, pour ainsi dire, renforcé le pouvoir du musée ; ça, c’est bien ; ça, c’est mauvais ; cela sera exposé, cela sera refu- sé. À mon avis, ce sont là les deux aspects probléma- tiques des ready-mades : ils renforcent l’institution
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